Nos villes ont été construites pour un climat stable, une consommation d’eau abondante et un lourd système de traitement. Qu’en sera-t-il demain, à +2°C ou plus par rapport à l’ère préindustrielle ? Dans une société toujours plus performante technologiquement ? C’est l’objet de ce nouveau Dossier d’Eau Majuscule.
Plus de 4 milliards de personnes vivent aujourd’hui en ville, soit plus de la moitié de l’humanité. La tendance va s’amplifier, notamment sous l’effet du réchauffement climatique. Les Nations Unies prévoient que deux terriens sur trois vivront en ville en 2050. En France, c’est déjà le cas. Cela pose maints défis, parmi lesquels la gestion de l’eau. Sera-t-elle suffisante ou rationnée ? L’eau s’adaptera-t-elle à la ville ou serait-ce le contraire ? Comment optimiser ses usages pour en faire une ressource durable ?
Pour mieux comprendre l’eau dans la ville du futur, rappelons les enjeux à venir. Premièrement, le réchauffement des températures va avoir un effet amplificateur dans les espaces urbains, du fait de l’effet d’îlot de chaleur (il fait deux degrés de plus à Paris que dans la campagne environnante). Les épisodes climatiques extrêmes – canicules, fortes chutes d’eau… – seront aussi plus fréquents. Deuxièmement, les progrès technologiques (capteurs, outils numériques, intelligence artificielle…) nous aident à mesurer finement ces paramètres et à adresser des sujets centraux, comme l’utilisation excessive de l’eau ou la pollution des réserves.
En 2022, la France a connu plusieurs canicules. Les ventes de climatiseurs thermiques ont explosé en ville. Les réflexions sur l’urbanisme n’ont pas attendu cette année, mais elle semble constituer un tournant pour repenser ce milieu, avec comme sujet central la gestion de l’eau. Comment mettre à profit la précieuse ressource pour rafraîchir ce milieu minéral et bitumé ?
Citons déjà la plantation massive d’arbres : Paris s’est engagé à planter 170 000 arbres dans les rues, places, jardins, bois et talus de périphériques. Ils jouent le rôle de climatiseur naturel, permettant ainsi de diminuer la consommation d’eau et l’énergie nécessaire à la climatisation thermique. Cela s’accompagne de la désimperméabilisation d’espaces bitumés dans la capitale : 70 hectares de surface de cours d’écoles et de collèges seront transformés en « cours oasis », désasphaltées et végétalisées. Objectif : infiltrer l’eau de pluie, qui sera redonnée par la végétation via l’évapotranspiration pour rafraîchir les quartiers, et contribuera à recharger les réserves en eaux souterraines de la ville.
Toujours sur le registre des grosses chaleurs, Paris profite déjà de l’eau de son fleuve pour refroidir ses sites emblématiques. Le Louvre, l’Assemblée nationale, le Musée d’Orsay… sont tempérés par une station de refroidissement de l’eau de la Seine située à 40 mètres de profondeur. Un système de pompage met sous pression un groupe frigorigène pour refroidir l’eau et l’injecte dans le circuit souterrain. L’eau utilisée regagne le fleuve en fin de cycle. Paris va étendre ce réseau de froid urbain à ses hôpitaux, écoles, stations de métros… Une solution bas carbone qui se substitue aux systèmes polluants de climatisation thermique. Pour fonctionner à plein, ces technologies éco-responsables coexisteront demain avec un bâti adapté : façades double-peau d’immeubles, isolation thermique renforcée, surfaces de toit réfléchissant les rayons solaires (effet albédo)…
Le réchauffement climatique amène d’autres types d’événements climatiques extrêmes, tels que les fortes précipitations et orages charriant crues et inondations. La ville de demain connaîtra plus finement ces données climatiques pour mieux anticiper les risques. Nantes Métropole a déjà intégré le « risque ruissellement », en se dotant d’outils qui modélisent les écoulements de surface en intégrant le bâti. En résulte une cartographie très précise des zones inondables transcrites dans le Plan Local d’Urbanisme Métropolitain, garantissant une urbanisation future compatible avec l’évolution des risques.
Les villes généraliseront demain les ouvrages de retenue d’eau en amont, limitant de fait les effets dévastateurs des crues. Les digues sont aussi un moyen efficace de contenir le débordement des rivières, mais elles empêchent l’écoulement des eaux pluviales dans les plaines et vers les rivières. Il faudra donc des stations de pompage pour les rejeter. Ce qu’a réalisé la Camargue Gardoise – une station de pompage et des pompes submersibles – afin de protéger des habitations.
C’est un axe majeur qui attend la ville du futur. Avec plus de citadins et une température moyenne en hausse, les ressources en eaux pluviales pourraient s’avérer insuffisantes. Le rationnement de la consommation a déjà commencé – La Cap en Afrique du Sud en 2018 -, mais d’importants efforts sont engagés pour éviter ce scénario pénible à vivre pour les populations. Par exemple, une captation et une répartition plus intelligentes de l’eau. Les collectivités installent des récupérateurs d’eaux pluviales autour des bâtiments publics. Objectif : arroser les espaces verts à la place de l’eau potable habituellement utilisée. Une mesure d’autant plus intéressante qu’elle fait économiser un poste budgétaire non négligeable de traitement de l’eau.
À l’avenir, les pouvoirs publics vont davantage inciter les particuliers à récupérer et à stocker les eaux pluviales pour un usage personnel hors consommation alimentaire (chasse d’eau des WC, lavage des sols, arrosage du jardin, nettoyage de la voiture…). Cette démarche sera étendue à d’autres consommateurs de la ressource, comme les industriels.
L’intelligence sera nécessaire à l’autre bout de la chaîne. En France, les fuites sur le réseau de distribution sont à l’origine d’une perte de 20% de l’eau distribuée. Ce problème réglé, les villes françaises économiseront un milliard de mètres cubes d’eau par an, ou la consacreront à d’autres usages.
Montpellier est en pointe sur le sujet. En 2021, la Métropole a lancé le label « Commune économe en eau ». Les collectivités certifiées déploient un plan d’action sur le réseau public, incluant des équipements pour stopper le gaspillage : moyens de comptage, remplacement des conduites défectueuses, matériel hydro-économe, réglage des robinets temporisés, mise en place d’une procédure de fuite et d’un protocole de réparation, installation d’un réducteur de pression et de vannes de coupures d’eau… Ce pan opérationnel s’accompagne de la sensibilisation auprès des professionnels (personnel communal), mais aussi des usagers, des scolaires, et d’un monitoring en amont (suivi des consommations, intelligence artificielle…). 17 communes sont actuellement labellisées, dans le territoire montpelliérain.
Les technologies numériques d’intelligence artificielle seront à ce titre bienvenues pour monitorer les fuites du réseau, afin de procéder à sa rénovation et à son renouvellement. La société belge « Hydroscan » mise déjà sur son algorithme qui exploite et interprète en temps réel les données provenant de débitmètres du réseau, réalise une empreinte hydrique et alerte les gestionnaires en cas d’anomalies.
Testé au Vietnam lors d’un projet pilote en 2017, cette technologie a permis de réduire de 5% les pertes sur un réseau urbain alimentant une ville d’1,1 million d’habitants. Altereo s’attelle par ailleurs à accompagner les exploitants des réseaux d’eau sur le renouvellement du réseau, en mesurant de multiples paramètres (historique des fuites, âge des canalisations, qualité de l’eau, pression, type de sous-sol…).
Après l’optimisation du réseau, la réorientation intelligente des eaux usées et les économies d’eau, le dessalement de l’eau de mer sera une option réaliste pour la ville littorale du futur. Objectif : baisser la pression sur l’eau douce terrestre, dans nombre de communes qui connaissent une croissance migratoire et un développement économique et industriel soutenu. Selon les projections de l’Ifri, les capacités vont doubler d’ici à 2030, par cette technique dans les pays soumis au stress hydrique.
Mais pour être dans l’alignement de l’agenda de décarbonation 2050, la ville du futur dessalera de manière décarbonée. Actuellement énergivores, les technologies existantes seront remplacées par des alternatives durables. D’une part, sur la technologie de filtration (membranes biométriques, osmose inverse), d’autre part en consommant de l’électricité renouvelable, générée à partir d’énergies vertes (solaire, éolien). C’est le pari de la startup française Osmosun, en déploiement en Afrique du Sud.
Un autre challenge de la ville du futur sera de renforcer la qualité de la ressource. Demain, les eaux douces captées contiendront moins ou pas de produits phytosanitaires (engrais et pesticides chimiques). Car le traitement des eaux contenant ces substances est coûteux et lourd pour les rendre propices à la consommation humaine et animale. D’ici 2025, le Plan Ecophyto prévoit ainsi de diviser par deux les niveaux de pesticides avant traitement. Des certificats accompagnent les acteurs du secteur (Cartiphyto) et le classement ICPE abaissera les limites maximales de rejets en substances polluantes. Les installations industrielles et agricoles et les collectivités seront totalement équipées en systèmes d’épuration (déjà une obligation légale).
En Ile-de-France, Eau de Paris a déjà entamé cette démarche avec les agriculteurs. Parmi les actions menées figurent la baisse du recours aux intrants et l’aide financière au développement de l’agriculture biologique. Citons aussi l’augmentation des surfaces de prairies, qui sont des filtres naturels des eaux pluviales et de celles rejetées par l’agriculture.
Les eaux souterraines sont un sujet de préoccupation majeur, car elles sont très utilisées pour l’alimentation en eau potable, l’industrie et l’agriculture. En cas de contamination, les conséquences peuvent se prolonger pendant des décennies. Or leurs qualités dépendent des eaux de surface, qui les alimentent (rivières, plans d’eau). La ville de demain scellera la gestion collective des acteurs du territoire pour les préserver : limitation des intrants, qualité des forages. Mal imperméabilisés, les forages sont en effet une porte d’entrée aux contaminations.
Tous les acteurs du bassin versant – professionnels, particuliers, collectivités – se coordonneront pour limiter les polluants, mais aussi pour raisonner les prélèvements. Un enjeu particulièrement prégnant en cas de sécheresse, où une police de l’eau devra faire respecter les règles afin de préserver ce bien commun. Si les industriels et agriculteurs font déjà l’objet de contrôles, les particuliers seront également ciblés pour respecter les restrictions d’eau. On voit déjà se développer un comportement interventionniste en Californie. Le service municipal de l’eau de Los Angeles dispose des réducteurs de débit sur les canalisations des maisons de personnalités d’Hollywood, afin que ces dernières respectent les règles.
Toujours pour préserver ses fragiles nappes phréatiques, la ville protégera plus drastiquement ses cours d’eau, retenues d’eau, zones humides environnantes… À côté des substances toxiques diffuses, les villes se mobilisent déjà pour éliminer les macrodéchets, dont les plastiques qui se dégradent très difficilement. Des expérimentations en cours visent à déployer la collecte hors foyer pour capter les déchets de consommation nomade qui explose actuellement (emballages de repas à emporter, de boissons).
Exemple à Lyon, qui installe le long des berges du Rhône et de la Saône des bacs de rue pour améliorer la collecte. La Métropole agit aussi en amont, en caractérisant les déchets. À partir des éléments les plus retrouvés, elle peut adapter ses messages dans ses communications auprès du public. Enfin l’action aval consiste en l’installation de systèmes de ramassage des déchets. Autre exemple de technologie de captage des macrodéchets : la barrière à bulles, développée à Amsterdam, qui oriente le long d’un mur de bulles installé dans un cours d’eau les débris vers des collecteurs.
Enfin, toujours dans le Lyonnais, une action menée depuis une décennie témoigne de la réconciliation de la ville avec son environnement, au service de la qualité des eaux. Le Rhône en amont de la métropole se voit restaurer sa ripisylve, une formation boisée et herbacée sur ses rives. Cet écosystème rend plusieurs services, dont l’épuration de l’eau ruisselant sur le bassin versant et dans les rivières. Arbres et végétaux y absorbent notamment les polluants, ce qui facilite le traitement des eaux captées en aval dans l’agglomération.
L’on pourrait continuer à l’avenant, mais tout dossier a une fin. L’important est de comprendre que la ville française de demain va réussir à préserver son eau douce et la restituer pour le mieux à ses habitants et à son environnement naturel. Les technologies électroniques et numériques nous permettent de mieux surveiller le réseau pour le réparer, le renouveler, en améliorer la performance de traitement. Notre meilleure compréhension de l’environnement naturel incite tous les acteurs de l’eau des territoires à gérer le sujet de façon globale, à anticiper les crises (canicules, crues) et à adapter les consignes en fonction. Demain, la ville gérera l’eau en temps réel et de façon raisonnée par tous ses habitants et acteurs économiques.
L’Atlas de la Terre – Comment l’homme a dominé la nature – Hors-série Le Monde
Centre d’observation de la société
Ville de Paris : Plan Arbres
Ville de Paris : cours oasis
L’infodurable.fr
Banques des Territoires, 17 exemples de collectivités qui agissent pour l’eau en lien avec les objectifs de développement durables
L’Usine nouvelle
Le Monde
Emploi-collectivites.fr
Ministère de l’intérieur
Aquae