Dossier

Eaux douces et eaux salées : destins croisés et avenir durable ?

Le changement climatique et l’activité humaine intense impactent mers et océans, littoraux et eaux douces. Comment ces deux mondes interconnectés peuvent-ils être préservés ? Quels enjeux d’adaptation pour les territoires côtiers ? Nous vous embarquons pour notre nouveau Dossier d’Eau Majuscule !

Tout d’abord, quelques faits : la montée des eaux salées menace 230 millions de personnes vivant sur une zone côtière à moins de 1 mètre d’altitude, notamment dans des villes comme Shanghai, New York, Jakarta ou Calcutta. Sous l’effet du réchauffement, les phénomènes climatiques extrêmes sont en hausse – cyclones, canicules suivies de pluies diluviennes… – et combinés à la montée des eaux salées, leurs effets sont dévastateurs sur les côtes tandis que sous l’eau, ils alimentent la pollution en macro-déchets, symbolisée par le 7ème continent de plastique, cause majeure de la baisse de la biodiversité marine… Nos eaux salées et douces sont donc malmenées alors qu’elles doivent être préservées. C’est ce que font, de plus en plus nombreux, des passionnés, des chercheurs, des entrepreneurs, des villes, des régions, des institutions afin de retrouver la qualité de ces précieuses ressources indissociables.

« AGIR POUR REVENIR À UN ÉQUILIBRE SUPPORTABLE POUR LA VIE AQUATIQUE – MARINE, FLUVIALE, ZONES HUMIDES… »

« DES INITIATIVES ET SOLUTIONS INNOVANTES QUI DOIVENT ÊTRE AUSSI ENCOURAGÉES PAR L’ACTION DE CHACUN »

Entre eaux douces et eaux salées, la porosité est réelle. Ainsi, 80% des déchets marins d’origine humaine proviennent de la terre, charriés par les cours d’eau ou dispersés sur les littoraux, et les trois quarts d’entre eux sont des déchets plastiques. Face au démarrage tardif et timide du recyclage des plastiques, bonne nouvelle ! de formidables initiatives émergent pour accélérer la collecte des déchets : citons le Manta du navigateur Yvan Bourgnon, premier bateau nettoyeur des mers, capable de collecter de manière industrielle des déchets plastiques flottants, ou encore Ocean Cleanup du tout jeune Néerlandais Boyan Slat, qui propose de longues barrières filtrantes pour récolter les déchets plastiques marins piégés dans les vortex sous-marins et les recycler ensuite sur la terre ferme. GloLitter, l’initiative de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) et de l’Organisation des Nations Unies, rassemble, elle, 30 pays autour de la collecte des déchets plastiques et du nettoyage des océans. Cependant, afin d’éviter au maximum cette pollution en aval, le but est aussi de systématiser la récupération les déchets en amont avant qu’ils n’atteignent les mers et les océans, de créer de nouveaux systèmes de dépollution ou de les améliorer, et sans doute pour chaque humain, d’être acteur à sa façon de la propreté des plages… Et c’est dans nos cordes !

S’équiper de systèmes de protection et renforcer le nettoyage

Après un cyclone, une grosse tempête ou des pluies diluviennes, des milliers de tonnes de déchets se déversent dans le milieu marin, en particulier via les voies fluviales continentales. Parmi les causes, dans les zones littorales densément urbanisées et construites, citons le débordement des systèmes de récupération des eaux pluviales et des eaux usées car ils ne sont pas conçus pour contenir de telles pluies, qui, sans possibilité de s’infiltrer, emmènent tout sur leur passage. Mais l’avenir peut être durable, car les solutions technologiques existent pour décharger les infrastructures de ces flots arrivant à forte vitesse et en retenir les polluants. Un grand nombre de villes littorales reste à équiper de systèmes de protection contre les inondations avec récupération des déchets et de systèmes de traitement des eaux, en particulier dans les pays du Sud. Au niveau mondial, seules 20% en moyenne des eaux souillées sont soumises à un nettoyage avant leur retour dans l’environnement. Il y a donc une grosse marge de progression.

« EN PROTÉGEANT CONTRE LES CRUES, SUR LES LITTORAUX NOTAMMENT, ON PEUT STOPPER UNE PARTIE SIGNIFICATIVE DE LA POLLUTION OCÉANIQUE ET MARINE »

La biodiversité littorale, notre précieuse alliée

Côté sous-marin, les choses évoluent également et c’est une bonne chose car les écosystèmes naturels littoraux sont désormais reconnus dans leur rôle de protection de l’homme. Saviez-vous par exemple que les récifs coralliens accueillent un quart des espèces marines, pour moins de 5% de la surface océanique ? Et qu’ils protègent les résidents côtiers des tempêtes et des tsunamis, leur assurent subsistance alimentaire et revenus du tourisme ? C’est pourquoi désormais les fabricants de cosmétiques proposent de nouvelles formules pour des crèmes solaires « reef-friendly » non nocives pour les coraux. Autre exemple biodiv’, le traitement des eaux de ballast des navires commerciaux et de loisir. Ces derniers sont tenus de réaliser cette opération depuis 2017, nécessaire pour éviter la propagation d’agents pathogènes et d’espèces exotiques envahissantes qui peuvent gravement perturber les écosystèmes dans lesquels ils sont relâchés. Citons le poisson-lion aux Antilles, originaire du Pacifique et désormais consommé par les insulaires.

Le littoral en première ligne

Nous l’avons vu, la pollution océanique et fluviale est un enjeu majeur qu’il est possible de traiter pour préserver la qualité des eaux. Qu’en est-il désormais de la montée des eaux induite par le réchauffement climatique ? Si l’on respecte l’accord de Paris, c’est-à-dire que l’on parvient à maintenir le réchauffement à + 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, l’augmentation du niveau des eaux serait contenue entre 30 cm et 1 m d’ici à 2100. Si rien n’est fait, il pourrait croître jusqu’à 1,1 m. Les littoraux seront les plus concernés par l’érosion. Et pourtant, là aussi, des solutions existent. Pour le comprendre, tournons notre regard vers les Pays-Bas.

« HIER COMME AUJOURD’HUI, LES PAYS-BAS SONT UN LABORATOIRE POUR OBSERVER LES FAÇONS DE SE PRÉMUNIR CONTRE LA MONTÉE DES EAUX MARINES »

Un quart du « plat pays » est situé au-dessous du niveau de la mer. Là-bas, la lutte contre l’érosion littorale est culturelle car le pays s’est construit au fil des siècles en gagnant des terres sur la mer à coup de digues et de polders et en stabilisant en permanence son rempart côtier. Dans l’après-guerre, après un tsunami meurtrier, les Hollandais ont encore renforcé le dispositif en construisant murailles de béton et de pierre sur le littoral, dunes renforcées en front de mer, digues et barrages anti-tempêtes, comme celui de l’Escaut oriental, qui protège la région de Zélande. Fort de leur expérience, ils ont pu observer l’efficacité de ces infrastructures et également mesuré leurs impacts délétères sur l’environnement : forte baisse du débit de l’Escaut oriental et impacts sur la biodiversité en eaux douces, perturbation des littoraux ponctionnés de sable pour renforcer les dunes côtières… C’est pourquoi, toujours en recherche de progrès, les Néerlandais élaborent les solutions éco-responsables de demain pour s’adapter à la montée des eaux.

Avec la nature, stabiliser les littoraux

L’exemple le plus frappant est mené actuellement sur la plage de Kijkduin/La Haye. Des ingénieurs ont construit un « moteur de sable », une péninsule sableuse d’1 kilomètre de long sur 2 de large, conçue de façon à créer un mouvement naturel de dépôt de sable sur le littoral environnant en usant de la force des courants et des vents. L’essai est concluant et porteur d’espoir car le réensablement pourrait ainsi se faire avec le concours de la nature. De plus, le moteur de sable limiterait les chantiers de terrassement des côtes avec le sable marin. Il existe enfin d’autres façons de protéger et de stabiliser les littoraux, comme sanctuariser des zones humides littorales agissant comme des barrières anti-tempête et des espaces de filtration et de dépollution. On pense bien sûr aux mangroves des zones tropicales, mais en zones tempérées des scientifiques rétablissent avec succès des récifs d’huîtres, ces bivalves filtreuses mais aussi infatigables constructrices

« DEVONS-NOUS REPENSER LA VILLE LITTORALE FACE À LA MONTÉE DES EAUX ? ET LA FAÇON DE VIVRE DE SES HABITANTS ? »

Et si l’on changeait, dans les espaces urbains côtiers, la façon d’appréhender notre rapport avec l’eau ? Là encore, les Néerlandais ont pris une longueur d’avance en proposant des maisons flottantes. Les architectes en pointe sur le sujet croulent sous les demandes partout dans le monde ; à raison, car ces maisons suivent les variations du niveau de l’eau tout en restant au sec. Plus utopique, l’architecte belge Vincent Callebaut imagine des cités flottantes telle que Lilypad. Ces propositions nouvelles et séduisantes sont potentiellement à envisager car le nombre de citadins sur les côtes continue à augmenter fortement, en particulier dans les grandes villes comme New York, Bangkok, Lagos, Shanghai, Sydney, Londres, Jakarta…

Homo Oceanius vs Homo Terriens ?

Débat non tranché, si ce n’est la certitude de l’Homo Ingeniosus ! L’objectif est clair, il reste à le relever afin de mieux gérer la rencontre entre eaux salées et eaux douces, entre les océans et les littoraux. Moins polluer en collectant mieux les déchets, en maîtrisant les eaux de crues, en traitant plus et mieux les eaux usées ; adapter les villes à la montée des eaux ; décarboner le transport maritime ; préserver les écosystèmes côtiers ou les restaurer… Les défis sont stimulants et moteurs d’innovations. À nous de jouer !

L’eau salée est à l’origine de tout équilibre sur notre planète. Point de départ du grand cycle de l’eau, tout ce qui se passe sur la terre en dépend. Pour envisager un avenir durable il faut commencer par estimer l’eau salée à la hauteur de son rôle : central et précieux.