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Rare et précieuse : l’eau, pourquoi faut-il mieux la gérer

Elle est partout, mais celle nécessaire à nos usages – l’eau douce – se fait rare sur notre Terre fortement peuplée. Quelles raisons expliquent ce paradoxe ? Pourquoi manquons-nous d’eau ? Pouvons-nous la gérer de façon responsable et durable ? C’est parti pour un nouveau Dossier d’Eau Majuscule !

L’eau est très présente sur la planète bleue. Mais dans les mers et les océans, qui couvrent la majorité de la surface de la Terre. Elle est donc partout, mais salée à 97 %. À l’inverse, l’eau douce utilisée par les humains – issue des rivières, lacs, glaciers, nappes phréatiques… – est rare. Et la tendance est à la baisse, car l’eau douce disponible se trouve à 76 % dans les glaciers, qui régressent rapidement sous l’effet du réchauffement climatique. Seulement 1,5 % se concentre en surface, et 22,5 % sous terre.

 

« L’eau douce disponible
sur Terre diminue
à grande vitesse. » »

 

« Les usages sont la raison
la plus importante
de la raréfaction de l’eau. »

Cette rareté hydrique est à envisager à l’aune de la population mondiale et des usages de l’eau. Début XIXe, nous étions 1 milliard sur Terre. En 2023, nous dépasserons les 8 milliards et atteindrons presque 10 milliards au milieu de ce siècle, selon les Nations Unis. Par ailleurs, en sus de l’explosion démographique qui produit sur les ressources en eau une pression indéniable, c’est du côté des usages qu’il faut chercher les causes de sa raréfaction. Révolutions industrielles et tertiaires, société de consommation depuis l’après-guerre, progrès incroyables réalisés dans tous les secteurs… l’eau est à la base de l’avènement de la modernité que nous connaissons, tant pour faire mieux vivre de plus en plus d’humains via l’agriculture que pour alimenter la production d’énergie (barrage hydroélectrique, centrales) et l’industrie. Avènements de nouveaux usages donc, mais également augmentation de la ponction hydrique dans les pays riches : en France, la consommation finale des ménages a augmenté de 53 % entre 1982 et 2017. Pourquoi alors, face à ces indicateurs multiples et au rouge, faut-il se mobiliser ?

« 40 % de la population
mondiale est affectée
par la raréfaction de l’eau. »

L’eau, origine et milieu de la vie

Les grandes extinctions passées ont montré que l’eau était au centre de ces phénomènes : les espèces marines ont subi l’acidification du milieu, les espèces terrestres ont souffert des pluies acides, des tsunamis, des contaminations de l’eau douce par les gaz des éruptions volcaniques… Plus essentiellement, l’eau est le milieu dans lequel s’est développé la vie sur Terre, des millions d’années avant que les premiers organismes terrestres n’émergent. Quant à l’homme, il ne peut vivre plus de trois jours d’affilé sans boire. Alors, quand se répètent les pénuries d’eau potable dans les pays, pourtant pourvus en eau, des zones tempérées, et que les sécheresses sont critiques dans les pays chauds, vient la question de son mode de gestion.

Depuis quelques décennies, les signes des bouleversements hydriques se succèdent partout : en Bolivie, les pêcheurs du Lac Poopó deviennent sauniers car ce dernier a littéralement disparu, épuisé par les prélèvements pour l’agriculture, l’industrie minière et par les sécheresses intenses ; 1,5 millions de riverains du Lac Chilwa, au Malawi, voient leur mode de vie de pêcheurs et de cultivateurs de riz menacés par des épisodes de chaleur extrême asséchant le lac, ainsi que par la déforestation ; des Sahéliens migrent en masse notamment car les rendements agricoles baissent, faute d’eau en quantité suffisante ; plus proche de nous, en France, les restrictions d’eau par arrêtés préfectoraux se font plus fréquentes du fait d’épisodes de sécheresse hors normes. Et ces cas vont se multiplier dans la mesure où un quart de la population mondiale sera affectée par le stress hydrique en 2050.

Des causes multi-factorielles au stress hydrique

Nous l’avons vu, les causes des stress hydriques sont variées : les volumes d’eau prélevés pour les activités humaines, multipliés par 6 entre 1900 et 2000 ; la consommation en eau plus importante des ménages, en particulier dans les pays industrialisés, et nos modes de consommation ; l’agriculture conventionnelle, qui consomme 70 % du total de l’eau prélevée, en lien notamment avec l’accroissement de la population… Mais il existe aussi des causes plus difficiles à percevoir, comme la déforestation, l’artificialisation des terres, la disparation des zones humides (marais, étangs, tourbières, ripisylves…). Or ces espaces naturels agissent comme des retenues d’eau douce et des espaces de filtration. Citons également les épisodes climatiques extrêmes et le réchauffement global des températures… Mais grâce à une identification toujours plus fine des problèmes par les scientifiques, il est désormais possible de mettre en place rapidement des solutions pour gérer l’eau plus durablement.

« Éducation, consommation, équipements, technologie…
Face au diagnostic, la mise au point d’une gestion durable de l’eau est possible. »

« eau virtuelle », on entend l’ensemble des consommations d’eau nécessaire à une production, agricole ou industrielle, ou à un service. Par exemple, 140 litres d’eau servent à produire une tasse de café de 125 ml. Cela comprend l’ensemble du cycle de sa production (culture, transformation, transport…). Cela représente 135 litres d’eau pour un œuf, 2 400 litres pour un hamburger… En percevant cet impact via la connaissance de « l’empreinte eau » des produits ou des services, le public peut décider de ré-orienter sa consommation. Ainsi en découlent par exemple les recommandations du régime flexitarien, qui promeut l’abaissement de la quantité de viande consommée, très « aquavore ». Aux États-Unis, un label dédié a même vu le jour dans cette optique : le label WaterSense permet d’identifier les produits permettant d’économiser l’eau.

 

« Adopter une approche intégrée
de la gestion de l’eau
par tous les acteurs – États,
entreprises, ONU, ONG… »

Protéger les zones humides

Marais, lacs, rivières, tourbières, étangs, marécages, lagunes… Longtemps combattus ou aménagés – assèchement des marais, canalisation des rivières… – ces milieux naturels retrouvent un intérêt à l’aune du réchauffement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Considérés comme des « points chauds » fourmillant d’espèces végétales et animales, ils jouent également un rôle écosystémique majeur pour l’homme, favorisant les retenues et la filtration des eaux douces. Selon la Convention internationale de Ramsar qui en protège une partie, « les zones humides d’eau douce fournissent l’eau que nous buvons, que nous utilisons pour cuisiner et laver et qui sert à l’irrigation, (…), elles permettent de cultiver le riz, base de nourriture pour 3 milliards de personnes, fournissent les populations en poissons, matières premières… (…) Au sein des bassins hydrographiques, elles agissent comme des éponges naturelles, absorbant les précipitations et atténuant l’impact des crues. Cette capacité de stockage sert aussi de rempart contre la sécheresse. » Ainsi les magnifiques ripisylves – ces formations végétales qui se développent sur les bords des cours ou des plans d’eau – permettent ce stockage des eaux et le rechargement des nappes phréatiques, et les purifient de leurs particules chimiques et organiques. Ces forêts alluviales, à 95 % disparues en Europe occidentale, font l’objet d’une réhabilitation naissante, avec leurs habitants emblématiques comme le castor.

Sensibilisation du public, protection des écosystèmes, et en parallèle créer et améliorer les infrastructures pour une gestion durable de l’eau. Tel est l’enjeu majeur commun aux entreprises, aux collectivités et aux institutions impliquées dans la gestion de l’eau, avec des fronts différents. Pour l’ONU, l’objectif est d’assurer d’ici à 2030 un accès universel et équitable à l’eau potable à un coût abordable (objectif n°6). Un jalon ambitieux, à l’heure où plus de 4 milliards de personnes n’ont pas de raccordement à un réseau d’assinissement. Cela montre l’ampleur de la tâche à accomplir pour fournir les installations adéquates dans les pays sous-dotés. Quant aux pays équipés, l’approche intégrée de la gestion de l’eau alliée à l’innovation sur tout le cycle de l’eau apparait comme la solution. Face à la baisse des ressources hydriques, les protagonistes du secteur doivent se mobiliser pour mieux collecter les eaux, améliorer le pompage, réparer ou remplacer les infrastructures vieillissantes par de nouvelles installations plus performantes et durables, réutiliser les eaux usées recyclées… Sans oublier les méthodes plus énergivores mais incontournables en pays arides, comme le dessalement d’eau de mer.

Bouillonnement d’innovations

Une émulation créative touche le secteur de l’eau, avec les fins évoquées ci-dessus. Elle se distingue par l’utilisation d’une grande profusion de données dont la collecte a dopé l’innovation. Par exemple la plateforme MOSES recueille les données d’observation de la Terre à partir de satellites. Ces données précieuses nécessitent des outils d’aide à la décision, issus de technologies de pointe en matière de prévision avant d’être mises à la disposition des responsables des autorités de l’eau, des institutions de recherche…
Les autorités ont ainsi les connaissances sur le plan environnemental pour réduire au minimum les risques de sécheresse, diminuer la consommation inutile d’eau d’irrigation et offrir aux agriculteurs ce dont ils ont vraiment besoin pour leurs cultures. Les outils de l’Analyse du Cycle de Vie et de l’évaluation de l’empreinte Eau aident à la prise des décisions de réorientation de la production vers l’écoconception de produits, services ou organisations futurs plus sobres en eau. Les innovations majeures sont issues là encore du domaine des données et de la transformation numérique avec le développement de capteurs, d’appareils intelligents et de solutions d’analyse pour optimiser l’efficacité des produits et des services de l’eau. La consommation d’eau et son utilisation, sa distribution et la détection des fuites font l’objet de mesure avec en ligne de mire une meilleure gestion de l’eau, via la diminution des pertes et l’augmentation des rendements des réseaux…

« Eau sous pression :
tous responsables
pour mieux la gérer. »

Une fois les eaux usées traitées et épurées, restent les résidus d’épuration, qui eux-mêmes vont subir une succession de traitements afin de les rendre aptes à la réutilisation. Plus de 70% des boues issues des stations de traitement des eaux usées sont utilisées en agriculture, dans le but d’apporter aux sols de la matière organique et des éléments fertilisants comme de l’azote et du phosphore. Elles font l’objet d’un contrôle anti-toxicité et peuvent également servir à régénérer des sols endommagés par des activités intensives. L’autre voie est celle de la matière première énergétique. Ces résidus peuvent être incinérés afin d’alimenter un réseau de chauffage urbain.